Avec l'aide de Peter Benoît, Emile Claus peut étudier de 1869 à 1874 à l'Académie des Beaux-Arts d'Anvers. Claus est originaire d'un milieu modeste, qui n'apprécie que modérément ses ambitions artistiques. Cependant, le jeune homme se taille en peu de temps une place dans la vie artistique anversoise. En 1874, à peine diplômé, il envoie son travail au Salon trisannuel de Gand; ce travail est immédiatement accepté. Bien que les premières années il soit essentiellement portraitiste, il se fait petit à petit un nom comme paysagiste. Il va parler le langage de la nature, surtout après son voyage orientaliste en Afrique du Nord et en Espagne et un séjour à Domburg. Entre-temps, il se montre particulièrement actif dans le milieu artistique anversois, en compagnie de ses amis d'académie Frans Hens et Théodore Verstraete. Aux expositions du Cercle Littéraire et Artistique local, il se dresse contre la scène artistique conservatrice d'Anvers. Lentement, l'artiste se profile dans d'importantes expositions dans le pays et à l'étranger, de Bruxelles à Paris; vers 1889, il jouit d'une grande notoriété en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Jusqu'à son mariage en 1886, Claus conserve un pied-à-terre à Anvers. Mais sur le plan créatif, il est surtout présent à Astene et aux alentours, dans l'environnement immédiat de la maison de campagne qu'il occupe à partir de 1881. Depuis cette maison de campagne, qui sera plus tard baptisée Villa Zonneschijn, il a une vue panoramique sur la Lys et les bois autour du château van Ooidonk. Les toiles monumentales qu'il expose aux Salons de Bruxelles et de Paris naissent autour de la Villa Zonneschijn. Il connaît un succès particulièrement important avec ces tableaux, mais en tant qu'artiste il ne se sent pas encore complètement abouti. Les hivers 1889 et 1891, il séjourne à Paris où il est directement confronté à la peinture moderne. Ensuite, par l'intermédiaire de l'éminent romancier et critique d'art Camille Lemonnier, il est introduit dans les milieux artistiques parisiens, et établit des contacts avec des artistes résidant à Paris comme Henri Duhem, Henri Le Sidaner, Frits Thaulow, Anders Zorn, etc. De Paris, il écrit à son compatriote et ami Albijn Van den Abeele: "Certes, Paris est séduisant et offre au peintre de superbes spectacles: ces ruées de gens fourmillant dans les rues et sur les boulevards sous la pluie ou le soleil, la Seine dont le large flux est continuellement coupé par de petits bateaux à vapeur qui sifflent, les canassons, les noirs remblais et les innombrables ponts noyés dans la brume, et la profusion d'immeubles gigantesques. Bref, toute cette vie grouillante dans cette grande ville mondiale est un trésor pour qui en fait ses délices".
Dès le moment où Claus opte pour l'impressionnisme moderniste, il prend place dans les cercles progressistes de Belgique. À partir de 1894, il est membre très apprécié de l'association d'artistes "La Libre Esthétique" qui perpétue au Musée Moderne bruxellois la tradition du cercle "Les XX". Du coup, il n'est plus associé à l'académisme anversois dans lequel il était encore compté en 1889.
Le choix inattendu de Claus pour l'impressionnisme trouble dans une grande mesure sa clientèle belge. Il persiste cependant, et son impressionnisme connaît assez vite un succès officiel. En 1892, le Musée des Beaux-Arts de Gand achète la toile "De ijsvolgels" (les Martins Pêcheurs) , une de ses premières œuvres impressionnistes abouties. Avec des hésitations, le public belge va suivre. Vers 1900, Claus, chef de file incontesté de l'impressionnisme belge, est couronné d'une médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris. À Paris également, il a accès aux milieux progressistes: la Galerie d'avant-garde Georges Petit est depuis 1895 la représentante de Claus à Paris. Auparavant, il a pris sa place dans le cénacle d'avant-garde du Champ de Mars, les expositions parisiennes qui s'opposent au Salon officiel de la ville.
En 1904, Claus participe à la naissance de l'association d'artistes "Vie et Lumière" qui réunit les impressionnistes belges. Les succès de Claus dans le pays et à l'étranger se succèdent, et à l'aube de la Première Guerre Mondiale, c'est un artiste célèbre dans l'Europe entière.
Au début de la guerre, il fuit en Grande-Bretagne. Après un court séjour au pays de Galles, il revient à Londres où il restera jusqu'à la libération. Claus connaît également le succès à Londres, entre autres par une exposition très remarquée à la Goupil Gallery en 1917.
Oeuvre :
À ses débuts, la notoriété de Claus est surtout celle d'un portraitiste. La bourgeoisie anversoise et bruxelloise lui reconnaît d'emblée une main de maître, qui sait à sa manière rendre la réalité dans de plaisantes petites pièces de cabinet romantico-réalistes, des tableaux de genre et des portraits cérémonieux. Il ne tombe sous l'emprise du paysage que lors d'un voyage en Afrique du Nord et en Espagne en 1879-1880. Subitement, tout l'aspect conventionnel de son travail disparaît. Son regard devient spontané, sa touche puissante et son coup de pinceau pâteux. Il ne reviendra plus au réalisme romantique dans ses morceaux de bravoure.
Progressivement, il tend ses antennes en dehors d'Anvers et de Bruxelles et apprend à connaître le naturalisme. Les naturalistes choisissent de représenter la vie de tous les jours en ville et surtout à la campagne. Dans son essence, le naturalisme est la continuation du réalisme, en en limant les côtés acerbes et critiques socialement. Les paysages monumentaux que Claus envoie aux Salons dans les années 1880 sont tous de tendance naturaliste, même s'il se montre peu à peu sensible à l'impressionnisme français. Malgré le grand succès qu'il rencontre avec ses pièces naturalistes aux grands Salons de Bruxelles et de Paris, il se cherche en fait une autre voie. Le réalisme tranchant, photographique et l'anecdotique pittoresque si caractéristiques vers 1886-1887 ont complètement disparu deux ans après. Claus était largement quadragénaire lorsque survient le principal revirement dans sa carrière. Il se retire du circuit officiel où il a moissonné avec succès et passe trois hivers dans un atelier à Paris. Il revient lentement sous l'influence de l'impressionnisme français, et revenu sur le front domestique, il va imbriquer cette technique dans son propre travail. Ses toiles ne deviennent pourtant pas vraiment françaises. Sa lumière a des teintes plus septentrionales que chez ses précurseurs français. Cette lumière brûlante prend forme avec des touches nerveuses qui, dans une large gamme de traits courts et longs, arrivent à créer une grandiose harmonie. Ses toiles sont alors le fruit d'une étude approfondie. L'une après l'autre, elles sont le résultat d'un profond travail de recherche. Il va conserver cette méthode de travail pendant quinze ans, jusqu'au début de la guerre.
À Londres, il abandonne l'impressionnisme heureux et lumineux et l'échange des coloris harmonieux en demi-teintes douces et feutrées. Le panorama sur la Tamise et Victoria Embankment, toujours changeant au fil des nuages, du soleil, du brouillard ou de la pluie, le conduit sans cesse à de nouvelles vue sur le fleuve, merveilleuses et éphémères, qui approchent de près l'esprit authentique de l'impressionnisme.
Jusqu'à sa mort, l'énergique septuagénaire restera très actif. Peu après la mort de l'artiste, le poète Karel Van de Woestyne l'a situé à la lumière de l'avant-garde débutante du début des années 1920: "Face à un artiste comme lui, la présomption est un grand danger, c'est plus qu'un danger que d'exiger de lui qu'il nous suive sur des voies dont nous ne connaissons par encore la fin. Comme un sage, Claus a choisi de ne pas quitter le maison dans laquelle il a décidé lui-même de se retirer. Cette maison est d'ailleurs dans un excellent état. Et… où donc est la nôtre ?"
bibliographie:
- Piet Boyens, Laethem-Saint-Martin: du symbolisme à l'expressionnisme, Tielt - Sint-Martens-Latem, Lannoo - Art Book Company, 1992.
- Johan De Smet, Emile Claus 1849-1924, Antwerpen - Brussel, Pandora - Gemeentekrediet, 1997.
- Johan De Smet, Laethem-Saint-Martin, un siècle d'art flamand, Tielt - Zwolle, Lannoo - Waanders, 2000.